Peter May signe ici un roman noir singulier, captivant et profond.
L'intrigue a pour cadre l'île de Lewis, située dans l'archipel des Hébrides, au nord de l’Écosse. Fin Macleod, le protagoniste, est chargé d'enquêter sur un meurtre particulièrement barbare, fort similaire à celui dont il s'est occupé quelques mois auparavant, à Edimbourg.
Le retour sur son île natale, quittée voilà presque 20 ans, bouleverse Fin. Il y retrouve tout un monde familier qui semble n'avoir guère évolué... On lui en veut d'avoir abandonné l'île. Au-delà de la simple enquête, qui représente surtout un prétexte pour l'auteur, le roman plonge le lecteur dans l'introspection, violente et éprouvante, du protagoniste. Les chapitres consacrés à l'enquête policière alternent en effet avec un récit à la première personne au cours duquel celui-ci se raconte. Une enfance, puis une adolescence rudes, marquées par un terrible drame familial, mais aussi par un cadre hostile et sauvage, à l'image des habitants de l'île. Cette île où perdurent des coutumes ancestrales, comme l'expédition sur l'An Sgeir, "le rocher" en langue gaélique, où chaque année des hordes de fous de Bassan sont massacrées au nom de la tradition. Peu de temps avant de quitter l'île, Fin participa à ce voyage, sorte de rite initiatique et passage obligé pour tous les adolescents de Lewis.
C'est précisément son retour sur le rocher qui permettra la résolution de l'énigme, étroitement liée au passé de l'enquêteur et au lourd secret bien gardé par une poignée d'hommes...
Éditions Actes-Sud (Collection Babel noir), 2011 – 424 pages (9,50 €)
(Édition brochée parue aux Éditions du Rouergue en octobre 2009)
Ici, le site officiel français de Peter May, un personnage haut en couleur !
dimanche 19 février 2012
vendredi 10 février 2012
Connaissez-vous Paris ? - Raymond Queneau
Le titre de ce petit ouvrage m'a immédiatement interpellé : qui peut se targuer de connaître parfaitement Paris ? Patrick Modiano lui-même, grand connaisseur de sa ville s'il en est, expliqua qu'il n'aurait jamais fini d'en découvrir les multiples coins et recoins.
Mais c'est Raymond Queneau qui est à l'origine du livre qui nous occupe ici.
Entre le 23 novembre 1936 et le 26 octobre 1938, celui-ci est responsable de la rubrique du quotidien L'Intransigeant, "Connaissez-vous Paris ?". Tous les jours, il propose trois questions portant sur Paris et son histoire, "ni banales, ni trop extravagantes"*, comme il l'écrit lui-même. Les réponses paraissent dans l'édition du lendemain. La rubrique rencontre rapidement un vif succès, et un véritable dialogue s’instaure entre Queneau et ses lecteurs. Ceux-ci lui envoient des questions dont une sélection est publiée sur le journal. Queneau expliquera plus tard combien il avait aimé cette période de sa vie, ponctuée par de longues déambulations dans Paris. :
Sur une idée d'Emmanuël Souchier, ce petit livre paru aux Éditons Gallimard propose une sélection de 456 questions/réponses. C'est peu au regard des 2102 questions/réponses publiées par Queneau, mais nombre d'informations fournies à l'époque sont devenues obsolètes : des monuments ont été détruits, des hôtels particuliers abattus, etc.
Ainsi, on apprend par exemple quel grand magasin fut construit par Eiffel, où se trouvait l'auberge des mousquetaires où logea d'Artagnan, ou encore quel fut le premier café de Paris.
Beaucoup de questions portent également sur l'étymologie de certains noms de rues, ou sont liées à des personnages célèbres, ayant vécu ou séjourné à Paris.
Voilà un petit ouvrage amusant et instructif à glisser dans une poche : un plan de la ville dans l'autre, à vous les longues marches et les belles découvertes !
À signaler la parution, le 15 février, d'un hors-série du journal Le Monde, dans la collection "Connaissez-vous", réalisé à partir du texte de Queneau.
*Citation tirée d'un texte paru dans la revue Services en juillet 1955
*"Un instant de bonheur", Fleur bleue, n°24, septembre 1953, Cahiers Raymond Queneau, C. Rameil, E. Souchier éd., n°6, 1987, p. 21
Éditions Gallimard (Collection folio), 2011 - 175 pages (4,60 €)
Mais c'est Raymond Queneau qui est à l'origine du livre qui nous occupe ici.
Entre le 23 novembre 1936 et le 26 octobre 1938, celui-ci est responsable de la rubrique du quotidien L'Intransigeant, "Connaissez-vous Paris ?". Tous les jours, il propose trois questions portant sur Paris et son histoire, "ni banales, ni trop extravagantes"*, comme il l'écrit lui-même. Les réponses paraissent dans l'édition du lendemain. La rubrique rencontre rapidement un vif succès, et un véritable dialogue s’instaure entre Queneau et ses lecteurs. Ceux-ci lui envoient des questions dont une sélection est publiée sur le journal. Queneau expliquera plus tard combien il avait aimé cette période de sa vie, ponctuée par de longues déambulations dans Paris. :
« Pendant deux ans, j'ai donc visité Paris, avec application et amour ; c'est certainement le plus long voyage que j'ai fait. Quand la guerre est venue (celle de 39), je me suis dit [...] : "Tiens, ça fait des années que je ne suis pas sorti de France [...] et pourtant j'ai l'impression d'avoir fait le tour du monde." C'est que je m'étais promené dans Paris. »*
Sur une idée d'Emmanuël Souchier, ce petit livre paru aux Éditons Gallimard propose une sélection de 456 questions/réponses. C'est peu au regard des 2102 questions/réponses publiées par Queneau, mais nombre d'informations fournies à l'époque sont devenues obsolètes : des monuments ont été détruits, des hôtels particuliers abattus, etc.
Ainsi, on apprend par exemple quel grand magasin fut construit par Eiffel, où se trouvait l'auberge des mousquetaires où logea d'Artagnan, ou encore quel fut le premier café de Paris.
Beaucoup de questions portent également sur l'étymologie de certains noms de rues, ou sont liées à des personnages célèbres, ayant vécu ou séjourné à Paris.
Voilà un petit ouvrage amusant et instructif à glisser dans une poche : un plan de la ville dans l'autre, à vous les longues marches et les belles découvertes !
À signaler la parution, le 15 février, d'un hors-série du journal Le Monde, dans la collection "Connaissez-vous", réalisé à partir du texte de Queneau.
*Citation tirée d'un texte paru dans la revue Services en juillet 1955
*"Un instant de bonheur", Fleur bleue, n°24, septembre 1953, Cahiers Raymond Queneau, C. Rameil, E. Souchier éd., n°6, 1987, p. 21
Éditions Gallimard (Collection folio), 2011 - 175 pages (4,60 €)
mardi 31 janvier 2012
Une créatrice, un univers : Maïa Thibault
Maïa Thibault est une jeune femme étonnante. Photographe, mais aussi sculpteur et créatrice à multiples facettes (marionnettes, jouets pour enfants...), elle est habitée par la nécessité de créer. Son regard sur le monde est bienveillant, émerveillé, et cela se voit. Très concernée par le bio, le recyclage et par les notions d’échange et de partage, elle inscrit par ailleurs sa démarche artistique dans un cadre tout à fait original.
Mais laissons-lui la parole…
-
- Maïa, peux-tu nous dire qui tu es ?
Une bricoleuse invétérée qui n'arrive pas à choisir entre la photo, le modelage, les marionnettes, les jouets, la couture, la déco, la mosaïque, le jardinage...
- - Qu’est-ce qui occupe principalement ton temps : la photo ou tes autres créations ? Qu’est-ce qui te tient le plus à cœur ?
Alors qu’il suffit d'une après-midi pour faire une centaine de photos, une marionnette va demander plusieurs journées. La photographie est surtout un travail de l’œil, de l'observation, tandis que le modelage ou les marionnettes font essentiellement travailler les mains, la forme, les volumes... Je n'arrive vraiment pas à faire un choix.
Je choisis donc mon activité du moment selon mon humeur. Un peu fainéante ? Envies contemplatives ? Je ferai de la photo ! Les doigts me démangent ? J'ai envie de concret, de matière ? Je vais bricoler !
- - Quelles sont tes sources d’inspiration ? Y-a-t-il des peintres, des illustrateurs, des lectures ou encore des films qui stimulent ton imagination créative ?
J'aime depuis longtemps les livres de Kenji Miyazawa. Cet auteur japonais qui a vécu au début du siècle a laissé une œuvre très riche, joyeuse et poétique. Ces images m'habitent souvent lorsque je modèle.
En photographie, l'esthétique graphique et la délicatesse de Stéphane Hette m'émerveillent !
En peinture, les œuvres d'Alma-Tadema me fascinent depuis longtemps par leur fraîcheur et leur réalisme !
Séverine Cadier est une céramiste dont j'aime admirer les œuvres, ces graines géantes qui nous emmènent dans un univers de textures et de formes incroyables !
J'aime également beaucoup les jouets-objets de Cart Before The Horse, des créateurs américains à l'inspiration folk.
-
- Parle-nous de ton travail de photographe.
J’ai commencé la photographie à l’adolescence, après l’apparition d’une maladie génétique handicapante. Grâce à cette maladie, j’ai appris à contempler la beauté et à apprécier le silence. C’est ce rapport au monde qui a marqué le début de ma démarche de photographe et qui me pousse encore aujourd’hui dans ma recherche. J’ai toujours eu le désir de montrer à mon entourage une vision embellie du monde et de ses détails : la délicatesse, la beauté, l’harmonie dans tout ce qui nous entoure, en sublimant de simples objets du quotidien. C’est ainsi que la macro photo est devenue mon seul outil. Quand un paysage apparaît dans une plume, ou quand un simple pistil se transforme en personnage onirique, je renoue avec l’enfance, ses visions et ses rêves. La macro photo n’est pas le seul outil permettant cela mais elle répondait également à un goût personnel pour la découverte et l’investigation, tel un « Sherlock Holmes » de la nature.
Je cherche à faire entrer le public dans un monde doux et familier, mais qui suscite l’étonnement et la curiosité, qui lui permette de regarder le monde différemment, avec tendresse et simplicité, comme un enfant face à la nature.
Je cherche à faire entrer le public dans un monde doux et familier, mais qui suscite l’étonnement et la curiosité, qui lui permette de regarder le monde différemment, avec tendresse et simplicité, comme un enfant face à la nature.
- - Où trouves-tu la matière première pour tes créations parallèles à la photo ?
Difficile... d'où l'idée et l'envie de créer un réseau de récupération de matériaux pour la création. Surtout qu'à la campagne, les lieux d'approvisionnement peuvent manquer. Je travaille essentiellement avec des matériaux de récupération. Et quand je trouve un bon filon, difficile de résister à la tentation de tout ramener à la maison ! Et puis les matériaux s'entassent, je n'utilise pas tout. Alors l'envie de partage s'est imposée, et je réfléchis actuellement à la façon de concrétiser ce réseau.
-
- Quels sont tes projets ?
Avec une amie, nous avons le projet de créer un lieu de rencontres, autour d'une épicerie solidaire, d’ateliers d'exposition partagés et, justement, autour de la récupération de matériaux.
Nous sommes déjà chacune en lien avec des associations locales qui promeuvent le bio, l'art et la culture à la campagne, la rencontre et les échanges. Ce lieu serait un peu comme un condensé de toutes ces activités, un lieu où l'on puisse trouver des informations, faire ses courses, apprendre à faire du pain, du tricot ou de la peinture, se fournir en matériaux, et rencontrer d'autres créateurs !
Un vaste projet qui devrait prendre forme cette année dans notre petit village aveyronnais, près de Rodez.
samedi 7 janvier 2012
Nagasaki - Éric Faye
Depuis quelque temps, la vie bien ordonnée de Shimura Kōbō est complètement bouleversée. Des aliments disparaissent régulièrement de son frigidaire, et des objets sont déplacés. Pourtant, Shimura vit seul... Pour tenter de résoudre le mystère, il installe une webcam dans sa cuisine. De son bureau, il observe l'écran de l'ordinateur et ne tarde pas à comprendre...
Tiré d'un fait divers survenu au Japon en 2008, ce très court roman est un petit joyau.
À l'aide d'une écriture délicatement ciselée, précise et sans fioritures, Éric Faye nous emmène à travers ce qui semble au premier abord une anecdote intrigante et troublante, rien de plus. Pourtant, au fil des pages, on découvre toute la profondeur de ce récit qui interroge nos sociétés de plus en plus individualistes, pose la question de l'exclusion, du manque d'entraide, fait réfléchir à la notion de propriété.
Nagasaki et L'Histoire tragique sont présents en filigrane.
Vraiment un magnifique roman.
Éditions Stock, 2010 - 112 pages (13 €)
"Nagasaki" est paru en poche (Éditions J'ai lu) en octobre 2011
samedi 24 décembre 2011
Sous la glace – Louise Penny
Au lendemain de Noël, une femme est assassinée dans le petit village québécois de Three Pines. Arrivée depuis peu avec sa famille, CC de Poitiers habitait une inquiétante maison située au somment de la colline dominant le village. Méchante, arrogante et hypocrite, elle s’était attiré bien des inimitiés. Elle venait par ailleurs de publier un livre reprenant les différents aspects d’une ancienne philosophie orientale dont elle était adepte jusqu’à l’obsession…
Mais qui donc a pu planifier un meurtre aussi singulier ?
Le très attachant inspecteur-chef Armand Gamache est chargé de l’enquête. À travers son regard bienveillant et plein d’humanité, on découvre peu à peu la petite communauté très soudée de Three Pines.
L’auteure nous entraîne sur de fausses pistes, mais Gamache est là qui, petit à petit, rassemble les morceaux du puzzle que constitue cette énigme délicate.
Le style de Louise Penny est particulier ; quelques clichés, selon moi, auraient pu être évités, et on regrettera quelques envolées ou réflexions pas toujours très heureuses. En revanche, l’usage de termes ou d’expressions typiquement québécois participe à l’ambiance chaleureuse et réjouissante du roman.
Mais ce qui frappe surtout dans ce polar, ce sont les atmosphères. Le roman est imprégné de la chaleur des intérieurs douillets qui contrastent avec le froid canadien qui règne au dehors ; Louise Penny sait parfaitement envelopper le lecteur de cette ambiance si particulière… qu’on voudrait ne plus quitter !
Un petit village enfoui sous la neige et illuminé pour Noël, du chocolat chaud devant la cheminée et des biscuits encore tièdes, une librairie où trône un imposant poêle à bois… « Sous la glace » est un polar à lire au coin du feu, blotti sous ses couvertures. Un vrai polar de Noël !
« Sous la glace » est le deuxième tome de la série des enquêtes de l’inspecteur-chef Gamache. En lisant « Nature morte », le premier tome, on saisira probablement mieux certains aspects de ce polar qui restent un peu troubles pour qui découvre la série. « Nature morte » se déroule également à Three Pines. Un troisième tome, « Le mois le plus cruel » a été traduit de l’anglais et publié dernièrement par Flammarion Québec. La série comprend 4 autres tomes encore non traduits. On espère les retrouver vite chez Actes-Sud !
Éditions Actes-Sud (Actes Noirs), 2011 – 352 pages (23 €)
mercredi 14 décembre 2011
Le petit Audiard illustré par l'exemple - Philippe Durant
Je viens de terminer un livre vraiment réjouissant. Il s'agit d'une sorte de répertoire présentant les termes et les expressions les plus truculents et/ou caractéristiques des dialogues écrits par Michel Audiard. Chacun d'eux est contextualisé à l'aide d'exemples empruntés à différents films. Une explication accompagne le tout. Gorgés d'humour et parsemés de jeux de mots parfois grivois, ces commentaires sont un véritable régal !
En voici un exemple:
Gambilles/gambiller :
- Si on déjeunait ? Parce que moi, après le déjeuner, j'ai l'intention d'aller faire un tour.
- Et moi de gambiller !
(France Asselin et Pierre Brasseur dans Rue des Prairies)
Donne l'impression trompeuse d'être un parent de gambettes, que Mistinguett avait très belles. Pas tout à fait. Certes, il faut des gambettes pour gambiller.
À l'origine, ce verbe signifiait marcher. Qu'en est-il des gambilles du samedi ? Ni marches forcées, ni trekkings dans les rues de Paris. Que fait-on avec ses jambes ? On marche, on court, on trottine, on saute, on expédie des coups de pied bien placés... et on danse ! Tagada tsoin tsoin. Pendant longtemps, la France s'amusa dans des bals populaires, dits "gambilles". Où elle dansait, donc "gambillait". Tradition festive qui permettait de mettre ses gants brillants, de se dégourdir les gambettes et de repousser les grandes bêtes.
On pénètre ainsi dans le petit monde d'Audiard, difficilement compréhensible si l'on n'en détient pas les clefs.
Le plus souvent d'origine argotique, le vocabulaire explicité comprend également beaucoup de références culturelles propres aux années 50/60, la "grande époque" d'Audiard. On apprend ainsi ce qu'était "le service des garnis", "L'homme du XXème siècle", ou encore un "mêlé-casse".
Grand lecteur et doté d'une vaste culture, le dialoguiste truffe aussi ses répliques d'allusions à des personnages littéraires ou historiques, ainsi qu'à des évènements célèbres.
Quant à l'argot, soit il le reprend tel quel, soit il l'adapte en étendant ou restreignant le sens originel du mot.
L'auteur décortique chaque mot ou expression, précise son origine et son éventuelle évolution, en donne les synonymes. Ainsi, les "bigorneaux", "mirotons", et autres "sorcières aux dents vertes", n'auront plus de secrets pour vous !
Audiard aimait jouer avec les mots. Le langage fleuri qu'il est parvenu à élaborer constitue un véritable plaisir sensoriel : on le hume et on s'en délecte.
Le livre s'achève avec un florilège des clins d’œil et citations littéraires dont il faisait grand usage, suivi de la liste des films dialogués par ses soins.
À la lecture d'un tel ouvrage, on n'a qu'une envie : voir ou revoir Les Tontons Flingeurs, Le Cave se rebiffe, Les Barbouzes ou Un Taxi pour Tobrouk !
Nouveau Monde Éditions, 2011.
207 pages
lundi 5 décembre 2011
La Nourrice - Marco Bellocchio
J'ai revu dernièrement ce très beau film de Bellocchio, sorti en 1999 et inspiré d'une nouvelle de Luigi Pirandello : il constitue, selon moi, l'une des plus belles réussites du réalisateur italien.
Plusieurs thèmes s'y entremêlent : le refus de la maternité, la question du traitement des maladies mentales à l'aube du XXème siècle, l'opposition bourgeoisie/monde paysan... le tout sur fond de revendications sociales dans l'Italie du début du siècle.
Vittoria (Valeria Bruni-Tedeschi) est l'épouse du professeur Mori (Fabrizio Bentivoglio), un psychiatre qui exerce sa profession avec passion dans un asile exclusivement féminin. Elle met au monde un enfant qu'elle refuse d'allaiter et pour lequel elle ne ressent aucun amour maternel. Le professeur décide alors de faire appel à une nourrice, Annetta (Maya Sansa), une jeune paysanne robuste et pleine de vie qui s’oppose à la pâle et tourmentée Vittoria.
Bien vite, celle-ci éprouve de la jalousie à l'égard d'Annetta chez qui l'instinct maternel est particulièrement développé ; la nourrice entoure d'attentions cet enfant qui n'est pas le sien, et la relation affective qu'elle parvient à construire avec le bébé provoque un malaise croissant chez Vittoria...
Outre le thème de la maternité non désirée, La Nourrice aborde notamment la question de la névrose féminine qui y est étroitement liée, et qu'on devine fréquente dans la société bourgeoise et conformiste de l'époque. Non seulement Vittoria éprouve de la jalousie pour Annetta, mais elle reconnaît aussi chez la jeune fille un sens profond de la liberté, une liberté dont elle-même qui n'existe qu'à travers son statut d'épouse, n'a jamais véritablement pu jouir. Même le choix de la maternité lui a été imposé. Certes, Annetta est pauvre, analphabète, mais elle n'appartient qu'à elle-même. Vittoria, en revanche, souffre de sa condition et réprime en permanence de profonds troubles névrotiques, sans doute précisément ceux que son mari tente de traiter chez ses patientes...
Bellocchio dresse ici deux portraits de femmes parfaitement opposés. Annetta est touchante dans sa volonté d'apprendre, de connaître, pour ne pas "rester la même toute [sa] vie", selon ses propres termes.
À sa demande, le professeur Mori commence à lui enseigner l'écriture et la lecture (ces séquences sont sans doute parmi les plus belles du film). Pour Annetta, la connaissance est synonyme de liberté. Vittoria, au contraire, semble s'étioler au fil des jours...
Par ailleurs, le thème de la liberté s'inscrit dans un climat d’agitation sociale particulièrement intense dans lequel Annetta est indirectement impliquée, à travers son amant... On retrouve bien là la patte du réalisateur engagé qu'est Marco Bellocchio.
La nourrice est vraiment un film magnifique que je vous invite à découvrir ! Les acteurs y sont exceptionnels, avec une mention spéciale pour Maya Sansa à laquelle Marco Bellocchio offrait là son premier rôle au cinéma.
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