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dimanche 8 avril 2012

Artemisia : pouvoir, gloire et passions d'une femme peintre


Judith et Holopherne (vers 1612), Naples, Museo Nazionale di Capodimonte


C'est une première en France : du 14 mars au 15 juillet, le musée Maillol consacre une exposition à l'exceptionnelle artiste qu'était Artemisia Gentileschi.
Née à la fin du XVIème siècle à Rome, à une époque où une femme peintre devait généralement se contenter des genres dits inférieurs comme la nature morte, Artemisia, à force de talent, d'intelligence et de pugnacité, accéda pourtant à la peinture d'histoire (considérée alors comme le genre majeur) ) et parvint à construire une carrière digne de ses plus célèbres collègues masculins. Sa renommée lui valut des commandes en provenance de différentes cours européennes et l'amena à se déplacer de Rome à Florence d'abord, pour se diriger ensuite vers Venise et enfin vers Naples où elle achèvera sa vie.

Longtemps tombée dans l'oubli, elle fut "redécouverte" en 1916, avec son père le peintre Orazio Gentileschi, par l’historien d'art et collectionneur italien Roberto Longhi qui reconnut en elle une grande artiste.
Cependant, tout au long du XXème siècle, on s'intéressa essentiellement à Artemisia pour l'exemple de femme indépendante, libre et courageuse qu'elle représenta, elle qui dut faire face au terrible outrage que lui infligea Agostino Tassi, un collaborateur de son père, qui la viola lorsqu'elle avait 18 ans. Cette image à connotation "féministe" occulta sans aucun doute son immense talent.
Ce n'est qu'assez récemment qu'on lui a finalement rendu justice, et l'exposition du musée Maillol témoigne de la volonté de remettre en lumière cette artiste exceptionnelle.

Si l'héritage caravagesque est manifeste au début de la carrière d'Artemisia, sa peinture évoluera au fil de ses déplacements, influencée par les "manières" propres aux différents milieux artistiques qu'elle fréquentera.
Les œuvres exposées comprennent de nombreuses scènes mythologiques ou religieuses, généralement de très grandes dimensions. Cependant, mises à part plusieurs belles réussites (comme Judith et sa servante Abra avec la tête d'Holopherne (1640-1645), dominée par un clair-obscur caravagesque, ou le fameux Judith et Holpherne, exécutée vers 1612), c'est peut-être avec des toiles de taille plus modeste que le talent d'Artemisia éclate véritablement. On retiendra notamment une magnifique Madeleine (exécutée vers 1630), toute dans les tons mordorés, l'Autoportrait au luth (vers 1615-1619), le Portrait d'une dame assise (vers 1620) et son vêtement richement brodé, l'Allégorie de la Renommée (vers 1630-1635), ou encore une Minerve vêtue d'une robe aux lourds drapés couleur parme (vers 1635).
Et comment ne pas évoquer la délicieuse Vierge à l'enfant et au rosaire (1651), une huile sur cuivre aux tonalités rouge et bleue intenses ?
Signalons qu'à l'occasion de l'exposition, le film d'Agnès Merlet, Artemisia (1997), ressort dans un certain nombre de salles, à Paris et en province.

"Artemisia (1593-1654) : pouvoir, gloire et passions d'une femme peintre" - Du 14 mars au 15 juillet 2012 Musée Maillol : 61, rue de Grenelle, 75007 Paris, métro Rue du Bac
Ouvert tous les jours de 10h30 à 19h - Nocturne le vendredi jusqu'à 21h30

dimanche 1 avril 2012

Cuisine tatare et descendance - Alina Bronsky

Ce roman signé par Alina Bronsky, jeune auteure allemande d'origine russe, peut difficilement laisser indifférent !
Plongés tout d'abord dans l'ex-URSS des années 80, on fait connaissance avec la famille de Rosalinda, une femme russe d'ascendance tatare qui nourrit un fort attachement pour sa culture d'origine.
Débordante d'énergie, elle incarne la parfaite matriarche sans laquelle, à première vue, la famille toute entière irait à vau-l'eau, à commencer par la vie de sa fille, Sulfia. Mais l'égo surdimensionné de Rosalinda, et son arrogance inébranlable génèrent surtout une force destructrice assez effroyable...

"Cuisine tatare et descendance" est avant tout une histoire de femmes. On suit trois générations - la grand-mère, la mère et la petite-fille - d'abord derrière le rideau de fer, où la dure réalité du quotidien implique une débrouillardise à toute épreuve (femme on ne peut plus pragmatique, Rosalinda s'adaptera parfaitement à la situation), puis dans l'Allemagne réunifiée.
Écrit à la première personne, le récit correspond exclusivement au regard que porte Rosalinda sur ceux qui l'entourent, sur la vie, et cela peut être très énervant ! En effet, ignorant le doute et persuadée d'être indispensable (ce qu'elle est effectivement parfois !), Rosalinda est un personnage antipathique au possible !

Pourtant, "Cuisine tatare et descendance" mérite vraiment le détour. Original, bien écrit et exempt de bons sentiments, le second roman d'Alina Bronsky est une belle réussite !

Éditions Actes-Sud, mars 2012 - 331 pages ( 23 €)