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samedi 24 décembre 2011

Sous la glace – Louise Penny


Au lendemain de Noël, une femme est assassinée dans le petit village québécois de Three Pines. Arrivée depuis peu avec sa famille, CC de Poitiers habitait une inquiétante maison située au somment de la colline dominant le village. Méchante, arrogante et hypocrite, elle s’était attiré bien des inimitiés. Elle venait par ailleurs de publier un livre reprenant les différents aspects d’une ancienne philosophie orientale dont elle était adepte jusqu’à l’obsession…
Mais qui donc a pu planifier un meurtre aussi singulier ?

Le très attachant inspecteur-chef Armand Gamache est chargé de l’enquête. À travers son regard bienveillant et plein d’humanité, on découvre peu à peu la petite communauté très soudée de Three Pines.
L’auteure nous entraîne sur de fausses pistes, mais Gamache est là qui, petit à petit, rassemble les morceaux du puzzle que constitue cette énigme délicate.

Le style de Louise Penny est particulier ; quelques clichés, selon moi, auraient pu être évités, et on regrettera quelques envolées ou réflexions pas toujours très heureuses. En revanche, l’usage de termes ou d’expressions typiquement québécois participe à l’ambiance chaleureuse et réjouissante du roman.
 Mais ce qui frappe surtout dans ce polar, ce sont les atmosphères. Le roman est imprégné de la chaleur des intérieurs douillets qui contrastent avec le froid canadien qui règne au dehors ; Louise Penny sait parfaitement envelopper le lecteur de cette ambiance si particulière… qu’on voudrait ne plus quitter !

Un petit village enfoui sous la neige et illuminé pour Noël,  du chocolat chaud devant la cheminée et des biscuits encore tièdes, une librairie où trône un imposant poêle à bois…  « Sous la glace » est un polar à lire au coin du feu, blotti sous ses couvertures. Un vrai polar de Noël !


« Sous la glace » est le deuxième tome de la série des enquêtes de l’inspecteur-chef Gamache. En lisant « Nature morte », le premier tome, on saisira probablement mieux certains aspects de ce polar qui restent un peu troubles pour qui découvre la série. « Nature morte » se déroule également à Three Pines. Un troisième tome, « Le mois le plus cruel » a été traduit de l’anglais et publié dernièrement par Flammarion Québec. La série comprend 4 autres tomes encore non traduits. On espère les retrouver vite chez Actes-Sud !

Éditions Actes-Sud (Actes Noirs), 2011 – 352 pages (23 €)
 

mercredi 14 décembre 2011

Le petit Audiard illustré par l'exemple - Philippe Durant


Je viens de terminer un livre vraiment réjouissant. Il s'agit d'une sorte de répertoire présentant les termes et les expressions les plus truculents et/ou caractéristiques des dialogues écrits par Michel Audiard. Chacun d'eux est contextualisé à l'aide d'exemples empruntés à différents films. Une explication accompagne le tout. Gorgés d'humour et parsemés de jeux de mots parfois grivois, ces commentaires sont un véritable régal !
En voici un exemple:

Gambilles/gambiller :

- Si on déjeunait ? Parce que moi, après le déjeuner, j'ai l'intention d'aller faire un tour.

- Et moi de gambiller !
(France Asselin et Pierre Brasseur dans Rue des Prairies)

Donne l'impression trompeuse d'être un parent de gambettes, que Mistinguett avait très belles. Pas tout à fait. Certes, il faut des gambettes pour gambiller. 
À l'origine, ce verbe signifiait marcher. Qu'en est-il des gambilles du samedi ? Ni marches forcées, ni trekkings dans les rues de Paris. Que fait-on avec ses jambes ? On marche, on court, on trottine, on saute, on expédie des coups de pied bien placés... et on danse ! Tagada tsoin tsoin. Pendant longtemps, la France s'amusa dans des bals populaires, dits "gambilles". Où elle dansait, donc "gambillait". Tradition festive qui permettait de mettre ses gants brillants, de se dégourdir les gambettes et de repousser les grandes bêtes.

On pénètre ainsi dans le petit monde d'Audiard, difficilement compréhensible si l'on n'en détient pas les clefs.

Le plus souvent d'origine argotique, le vocabulaire explicité comprend également beaucoup de références culturelles propres aux années 50/60, la "grande époque" d'Audiard. On apprend ainsi ce qu'était "le service des garnis", "L'homme du XXème siècle", ou encore un "mêlé-casse".
Grand lecteur et doté d'une vaste culture, le dialoguiste truffe aussi ses répliques d'allusions à des personnages littéraires ou historiques, ainsi qu'à des évènements célèbres.
Quant à l'argot, soit il le reprend tel quel, soit il l'adapte en étendant ou restreignant le sens originel du mot.
L'auteur décortique chaque mot ou expression, précise son origine et son éventuelle évolution, en donne les synonymes. Ainsi, les "bigorneaux", "mirotons",  et autres "sorcières aux dents vertes",  n'auront plus de secrets pour vous !
Audiard aimait jouer avec les mots. Le langage fleuri qu'il est parvenu à élaborer constitue un véritable plaisir sensoriel : on le hume et on s'en délecte.

Le livre s'achève avec un florilège des clins d’œil et citations littéraires dont il faisait grand usage, suivi de la liste des films dialogués par ses soins.

À la lecture d'un tel ouvrage, on n'a qu'une envie : voir ou revoir Les Tontons Flingeurs, Le Cave se rebiffe, Les Barbouzes ou Un Taxi pour Tobrouk !

Nouveau Monde Éditions, 2011.
207 pages

lundi 5 décembre 2011

La Nourrice - Marco Bellocchio


J'ai revu dernièrement ce très beau film de Bellocchio, sorti en 1999 et inspiré d'une nouvelle de Luigi Pirandello : il constitue, selon moi, l'une des plus belles réussites du réalisateur italien.
Plusieurs thèmes s'y entremêlent : le refus de la maternité, la question du traitement des maladies mentales à l'aube du XXème siècle, l'opposition bourgeoisie/monde paysan... le tout sur fond de revendications sociales dans l'Italie du début du siècle.

Vittoria (Valeria Bruni-Tedeschi) est l'épouse du professeur Mori (Fabrizio Bentivoglio), un psychiatre qui exerce sa profession avec passion dans un asile exclusivement féminin. Elle met au monde un enfant qu'elle refuse d'allaiter et pour lequel elle ne ressent aucun amour maternel. Le professeur décide alors de faire appel à une nourrice, Annetta (Maya Sansa), une jeune paysanne robuste et pleine de vie qui s’oppose à la pâle et tourmentée Vittoria.
Bien vite, celle-ci éprouve de la jalousie à l'égard d'Annetta chez qui l'instinct maternel est particulièrement développé ; la nourrice entoure d'attentions cet enfant qui n'est pas le sien, et la relation affective qu'elle parvient à construire avec le bébé provoque un malaise croissant chez Vittoria...

Outre le thème de la maternité non désirée, La Nourrice aborde notamment la question de la névrose féminine qui y est étroitement liée, et qu'on devine fréquente dans la société bourgeoise et conformiste de l'époque. Non seulement Vittoria éprouve de la jalousie pour Annetta, mais elle reconnaît aussi chez la jeune fille un sens profond de la liberté, une liberté dont elle-même qui n'existe qu'à travers son statut d'épouse, n'a jamais véritablement pu jouir. Même le choix de la maternité lui a été imposé. Certes, Annetta est pauvre, analphabète, mais elle n'appartient qu'à elle-même. Vittoria, en revanche, souffre de sa condition et réprime en permanence de profonds  troubles névrotiques, sans doute précisément ceux que son mari tente de traiter chez ses patientes...

Bellocchio dresse ici deux portraits de femmes parfaitement opposés. Annetta est touchante dans sa volonté d'apprendre, de connaître, pour ne pas "rester la même toute [sa] vie", selon ses propres termes.
À sa demande, le professeur Mori commence à lui enseigner l'écriture et la lecture (ces séquences sont sans doute parmi les plus belles du film). Pour Annetta, la connaissance est synonyme de liberté. Vittoria, au contraire, semble s'étioler au fil des jours...
Par ailleurs, le thème de la liberté s'inscrit dans un climat d’agitation sociale particulièrement intense dans lequel Annetta est indirectement impliquée, à travers son amant... On retrouve bien là la patte du réalisateur engagé qu'est Marco Bellocchio.

La nourrice est vraiment un film magnifique que je vous invite à découvrir ! Les acteurs y sont exceptionnels, avec une mention spéciale pour Maya Sansa à laquelle Marco Bellocchio offrait là son premier rôle au cinéma.